Le progrès, une idée rétrograde ?
Édito de l'émission d'octobre 2012.
« Un Progrès ininterrompu et irrésistible avait véritablement en ce tps là, la force d’une religion, écrivait Stefan Zweig dans Le monde d’hier, en évoquant l’Europe du tout début du 20e siècle, on croyait déjà plus en ce Progrès qu’en la Bible, et cet évangile semblait irréfutablement démontré chaque jour par les nouveaux miracles de la science et de la technique (…) ce siècle se chauffait complaisamment au soleil de ses réussites et ne considérait la fin d’une décennie que comme le prélude à une autre, meilleure encore ».
Le Monde d’hier est le dernier livre de Zweig écrit en exil en 1941, à l’heure déjà où cet espoir de Progrès a été pulvérisé par les drames que l’on sait, et on ne peut s’empêcher de penser à ce que dira Camus quatre ans plus tard, au lendemain du bombardement atomique sur Hiroshima dans l’édito de Combat : « la civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie. Il va falloir choisir, dans un avenir plus ou moins proche, entre le suicide collectif ou l'utilisation intelligente des conquêtes scientifiques. »
Une réflexion qui, avec le recul historique nous paraît visionnaire, nous qui avons connu depuis Tchernobyl et Fukushima, la crise de la vache folle et l’accélération du réchauffement climatique, les catastrophes sociales et environnementales de tous ordres liés à la dynamique d’expansion capitaliste qui font dire à certains aujourd’hui que l’urgence serait plutôt à la décroissance …
Bref, un siècle après le Monde d’hier, nous savons évidemment que les innovations scientifiques peuvent être aussi mises au service d’idéologies mortifères, qu’il est « pour la raison, également stimulant de développer un algorithme de mort qu'un projet de vie » comme le rappelait l’historien Johann Chapoutot dans un article récent.
Alors, le désenchantement du monde aurait-il signé l’arrêt de mort du Progrès, au point d’en faire aujourd’hui une idée rétrograde ? Et d’abord, cette idée de Progrès, que signifie-t-elle pour les scientifiques qui travaillent en 2012 ? Une naïve utopie à la solde d’une compétitivité ultralibérale ? Une religion caduque qui se serait abîmée dans les tragédies du 20e siècle ? Une manière de donner du sens au temps ? Ou est-ce un idéal qui donne aux scientifiques l’occasion de s’interroger sur la valeur de ce qu’ils produisent, valeur pour l’humanité présente et à venir… pour peu bien sûr qu’ils ne fassent pas une science purement instrumentale.